De façon assez naturelle aujourd’hui s’est installée l’évidence d’une relation transitive entre décentralisation et développement local, comme si l’une engendrait l’autre, qui trouverait en elle l’instrument logique de sa réalisation. Cette évidence détermine – autour d’un processus institutionnel en phase de généralisation dans les pays en développement, quand il n’était pas inscrit dans la formation des États nouvellement indépendants – une assez forte adhésion du partenariat international.
Il est pourtant utile de revenir sur la genèse d’une relation complexe entre deux notions qui, loin d’être originellement complémentaires, sont installées dans une tension qui leur est consubstantielle ; et aussi de partager la conviction que chaque situation exige sa propre grille de lecture. En d’autres termes, si comparaison est raison, là plus qu’ailleurs, la greffe ne prend qu’en tenant compte de la réalité sociale qui l’accueille.
3Entre décentralisation et développement local, il y va plus que d’un accommodement entre deux modes de gestion – l’un, redistributif de compétences centrales vers les périphéries de l’État, l’autre, participatif à la base, des forces qui composent une communauté. La question posée est celle d’une gouvernance qui mette à la disposition d’une collectivité nationale des outils institutionnels adaptés à des formes et organisations de la vie, déposés et travaillés par l’histoire et qui réussisse à lever les suspicions réciproques : tantôt sur les intentions de l’État décentralisateur – Défausse ou partage des responsabilités ? Redistribution sincère vers les territoires ou mainmise reformulée sur la société ? Recherche effective d’efficacité ou transfert vers les collectivités de mêmes pratiques ? – tantôt sur celles du développement local – Utopie du micro-social ou modèle extensible à la diversité qui forme une communauté nationale ? Construction de l’unité « par le bas » ou de la société contre l’État ?
4Il est vrai que le débat autour de la globalisation, renchérissant sur celui qui a longtemps cloué au pilori l’État central au motif de son incapacité à résoudre, voire à poser dans les bons termes la question du développement dans un contexte de libéralisation, lui a porté de si rudes coups au profit du local comme espace dépositaire des attentes du corps social qu’il peine à retrouver sa légitimité.
5La décentralisation lui en offre l’occasion pourvu qu’elle n’avance pas comme panacée aux impuissances de l’État central mais comme modalité utile de prise en charge des besoins et des aspirations d’une population qui souvent, dans ses marges, et par nécessité, inventait des réponses à des questions qu’on ne partageait pas avec elle ou auxquelles il lui paraissait que l’État apportait des solutions trop insuffisantes.
6Dans tous les cas de figure, la population, et donc le citoyen sont au centre du processus de décentralisation. Une démarche décentralisatrice purement juridique et administrative, ne pourrait prétendre produire du développement local. Bien des analyses sur différents espaces urbanisés, notamment en Afrique, en Amérique du Sud ou encore en Inde, ont mis en évidence que les avancées des processus institutionnels pouvaient ne pas avoir d’impact suffisant sur les dynamiques locales, renvoyant à un nécessaire « ré-ajustement », des contenus des politiques, de leur mode d’application, de leur appropriation effective.
7La notion de développement local est née en France de la prise de conscience que les politiques d’aménagement du territoire mises en œuvre pour corriger les grands déséquilibres géographiques et socio-économiques ne pouvaient trouver leur pleine efficacité qu’en s’appuyant sur une structuration des populations locales, propice à une mise en mouvement de la société civile. Il s’agit donc d’un mouvement aux dimensions culturelle, économique et sociale, qui cherche à augmenter le bien-être d’une société, à valoriser les ressources d’un territoire par et pour les groupes qui l’occupent.
8Si le développement local est fondé sur la participation et le consensus, la décentralisation en revanche contient l’expression d’un droit de substitution légitime ; c’est la différence fondamentale entre la décentralisation, comme projet politique, et le développement local, comme pratique sociale. Engendrant de possibles tensions, elle est générique du débat ancien entre démocratie représentative et démocratie participative.