JONAS HIEN, CHARGE DES PROGRAMMES DE L’ONG ORCADE : « Le secteur minier était très mal géré sous le régime Compaoré »

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Le 25 Octobre 2016, la commission d’enquête parlementaire sur la gestion des titres  miniers et la  responsabilité sociale des entreprises rendait publics les résultats de ses recherches. La publication de ce rapport a fait couler beaucoup d’encre et de salive au pays des Hommes intègres. Pour certains, cette enquête parlementaire n’est ni plus ni moins qu’une tentative de règlement de comptes politiques. Pour d’autres, c’est autre chose parce qu’elle sonne le glas d’une gestion calamiteuse du secteur minier au Burkina. Notre interlocuteur est de cet avis.   Jonas Hien,  Chargé des programmes de l’ONG ORCADE ( Organisation pour le renforcement des capacités de développement), puisque c’est de lui qu’il s’agit, dirige une ONG du secteur minier, membre du comité de pilotage de l’Initiative pour la transparence dans les industries  extractives du Burkina (ITIE).

« Le Pays » : Pouvez- vous nous parler brièvement de l’ITIE ?

Jonas Hien : L’ITIE  est une norme internationale de promotion de la transparence et de la rédevabilité dans le secteur des industries extractives.  Pour  dire que ce n’est pas exclusivement limité  à l’exploitation de l’or,  mais à toute substance extractive des richesses naturelles.  Cela peut être le gaz, le pétrole,  l’or ou autre chose. Les Etats,  sur instigation des Organisations non gouvernementales (ONG) internationales, ont mis en place ce mécanisme pour faire en sorte que les richesses  naturelles que nous exploitons de notre sous-sol, profitent effectivement   aux  citoyens et mettre fin à ce que nous  avons qualifié de paradoxe. Vous ne pouvez pas avoir une richesse abondante et  avoir une population en même temps très pauvre.  Cela veut dire qu’il y a un problème.  Soit ce que  vous tirez comme  recettes  provenant de l’exploitation de ces ressources n’est pas bien géré, soit il y a une certaine complicité avec  les investisseurs pour résoudre des problèmes privés au lieu de résoudre les problèmes des citoyens pour lesquels vous travaillez.  L’ITIE est là pour promouvoir non seulement cette transparence, cette  redevabilité et surtout ce changement d’amélioration  des conditions de vie des populations mais aussi aider les Etats à aller vers des réformes pour avoir des administrations  performantes qui répondent  à un contexte de démocratie véritable.  Imaginez- vous que dans un  service donné,  vous y  alliez pour des formations sur l’exploitation de l’or et qu’on ne soit pas en mesure de vous fournir des données fiables. L’ITIE fait en sorte qu’il y ait non seulement la disponibilité de ces données-là,  mais  qu’elles soient aussi accessibles aux citoyens.

 Peut- on dire  aujourd’hui que l’extraction de l’or  au Burkina profite aux populations ?

Au niveau de la société civile, nous répondons toujours  non.   Ce n’est pas que l’Etat burkinabè ne perçoit pas  de recettes  provenant des  industries  extractives.  Mais  ce ne sont pas des recettes à même de faire dire qu’avec cette exploitation de l’or,  les  conditions de vie des populations burkinabè ont changé.  Que ce soit au niveau local ou national, on n’est pas en mesure de dire que l’or a inversé la tendance  en matière d’amélioration des conditions  de vie  des Burkinabè.  Il ne faut pas se lier aux chiffres qu’on nous donne en termes de milliards de F CFA.   Quand on dit, par exemple, qu’au cours d’une année donnée, le pays a perçu 100 ou 200 milliards de F CFA,  ce n’est pas quelque chose de significatif en réalité.  Quand on compare à ce qu’on exploite effectivement,  et que ces 100 ou 200 milliards de F CFA  ne sont que l’argent réuni de 7 ou 8 entreprises minières,  ce n’est vraiment pas grand chose. Ce n’est pas  avec ça qu’on peut inverser ou  changer une courbe en terme d’amélioration des conditions de vie des populations.  Nous disons que les entreprises paient des taxes, mais cet argent ne peut pas  changer quoi que ce soit.

 Le sous-sol burkinabè regorge-t-il de ressources naturelles autres que l’or ?

Le  Burkina regorge beaucoup  de ressources naturelles dans son sous-sol.  On met l’accent sur l’or parce que c’est  lui qui est aujourd’hui exploité.  C’est vrai qu’il y a du zinc du côté de Réo,  du manganèse à Tambao qui a débuté avec tous les problèmes que vous connaissez. Pour le moment, c’est l’or qui nous rapporte.  Sinon, il y a le phosphate !  Il y en a aussi en grande quantité !  Maintenant, il faut créer les conditions de leur exploitation.  On n’est pas encore arrivé à les exploiter de façon conséquente.  Donc, pour le moment, c’est l’or qui est notre produit de sous-sol que nous  exploitons. C’est pourquoi les débats sont focalisés sur l’exploitation de l’or.

« Nous avons très bien accueilli ce rapport d’enquête  parlementaire »

 Comment avez-vous accueilli le rapport d’enquête parlementaire sur la gestion des titres miniers au Burkina ?

Nous avons très bien accueilli  l’enquête parlementaire sur la gestion des titres  miniers et la  responsabilité sociale des entreprises  minières.  C’est un rapport qui a soulevé les problèmes  et les préoccupations  que la société civile  elle-même avait soulevés  pendant longtemps.  C’est vrai que nous n’avons pas un document de type enquête tel  que le parlement  l’a  fait. Mais c’est un rapport qui vient rappeler aux Burkinabè la façon dont le secteur minier est géré et la nécessité des mesures qu’il y a à prendre si on veut profiter grandement de cette exploitation.  Nous avons très bien accueilli ce rapport d’enquête  parlementaire.

 Le rapport d’enquête parlementaire a relevé beaucoup  d’insuffisances  dans le domaine minier alors que le Burkina est passé en février 2013 du statut de pays candidat à celui de pays conforme à l’ITIE. Comment expliquez- vous cela ?

 Ce n’est pas tout fait la même chose.  Le fait que le pays ait obtenu le statut de pays conforme ne signifie pas forcément que  les ressources sont bien gérées, que le secteur minier est bien suivi. L’ITIE a établi des règles qu’on appelle des exigences que l’on doit  suivre dans la  production de ces rapports.  Ce  sont  des exigences de transparence,  de communication, de redevabilité et  de diffusion.  Par exemple, on vous dit que  pour produire le rapport,  le groupe multipartite, c’est-à-dire les parties prenantes doivent prendre des mesures de sorte que toutes les entreprises qui exploitent  l’or au Burkina, puissent  déclarer ce qu’elles ont effectivement payé à l’Etat burkinabè.  Et que l’Etat burkinabè puisse également déclarer ce qu’il a effectivement reçu de ces mêmes entreprises minières qui ont fait leurs  déclarations.  On fait la comparaison. Cela permet de savoir  si les deux parties ont dit la vérité ou pas. S’il y a des écarts,  il faut chercher  à comprendre pourquoi il y a des écarts.  Ensuite,  est-ce que ces données  qui ont été faites des deux côtés, ont été mises  à la disposition du citoyen.   Est-ce que le citoyen est au courant de ces données ? Comment ces fonds ont-ils été répartis ?  Est-ce que cela permet de dire que le citoyen profitera des retombées ?  Ce sont autant d’éléments qu’il faut suivre entre autres pour  pouvoir produire un rapport ITIE.  Une fois que c’est fait pendant une période donnée,  il y a ceux-là qu’on appelle des validateurs qui sont des consultants indépendants qui vérifient les rapports qui ont été produits par un autre consultant. Ce qui vous permet de dire que vous êtes sur la bonne voie dans la gestion du secteur minier.  Ce  qu’on vous déclare, c’est sur cette base que vous travaillez pour  faire le rapport.  Mais ce qu’on ne vous a pas déclaré,   peut être du fait de la fraude et autre, ce ne sont pas des éléments que vous maîtrisez.  Le fait d’avoir la conformité ne veut pas dire qu’on gère bien le secteur minier, surtout en termes de changement des conditions  de vie.  L’ITIE, c’est ça.  Mais il y a des règles que l’ITIE a établies. Si vous les suivez,  sur cette base, on dit que vous suivez les règles, donc, vous êtes pays conforme. Chose que vous pouvez perdre à tout moment si à un moment donné, vous reculez. Il ne faut pas confondre. Le fait qu’on a la conformité à l’ITIE ne veut pas dire que tout est clean dans le  secteur minier.

 Pensez vous que cette enquête pourrait remettre en cause ce statut ?

 Non,  pas du tout.  Parce que ce sont deux choses tout à fait différentes.  Comme je viens de l’expliquer. Ce rapport d’enquête parlementaire ne peut pas  remettre en cause le statut de pays  conforme qu’a le Burkina aujourd’hui.  Au contraire, le rapport traduit un engagement fort de l’Etat à créer des conditions de  promotion de la transparence et de la redevabilité dans le  secteur minier. Et c’est  ça que  l’ITIE demande.  L’ITIE veut savoir jusqu’où les Etats qui se sont engagés à l’ITIE, travaillent véritablement à ce  qu’il y ait des réformes  profondes qui puissent  répondre aux aspirations des citoyens.  Au niveau  de l’ITIE, c’est un point fort que l’Etat a marqué en produisant ce rapport. Au contraire, cela le grandit vis-à-vis de l’ITIE.

 Comment expliquez- vous les crises récurrentes d’une part, entre les sociétés minières et les populations locales et d’autre part, entre les employés et les employeurs ?

Entre les sociétés minières et les populations, il y a plusieurs éléments. Le tout réuni, quand on les analyse de façon approfondie,   on se rend compte que c’est un problème de communication.  On a favorisé  l’installation des crises et c’est ce qui leur permet de durer. Les sociétés minières  n’ont pas cette culture de  communication sur leurs activités.  Or,  elles  vivent dans un  environnement, avec des populations qui ne sont pas habituées.  D’abords, vous prenez les  terres des gens. Vous déplacez des villages. Les sources de revenus, les populations les ont perdues.  La compensation n’est pas à la hauteur de ce qu’elles ont perdu.  Elles ne tirent pas bénéfice de votre activité.  Vous n’avez pas cette culture de communication, de concertation et de dialogue avec eux.  Les sociétés  minières  sont inaccessibles.  Les populations  ont beaucoup de préoccupations mais elles n’ont pas d’interlocuteurs.  Vous comprenez que cela crée des frustrations.  Si bien que face à de petits incidents, les crises s’installent. Mais s’il y a de la concertation de façon régulière,  le dialogue, la communication, l’information sur les activités   minières  et que les sociétés  minières  mettent  en œuvre  ce qu’on appelle la responsabilité sociale des entreprises pour accompagner les populations dans l’amélioration de leurs conditions de vie,  je pense que cela peut diminuer les crises que nous connaissons.  Quelque part, c’est un manque de respect, d’engagement vis-à-vis des populations, qui amène ces problèmes.  C’est un problème de communication et nous pensons que ce ne sont pas des choses insurmontables.   Entre les employeurs et les employés, il faut voir  le problème sous plusieurs angles.  Il peut y avoir des  problèmes internes que du dehors, on ne peut pas maîtriser.  Ensuite, il faut savoir que le Code du  travail du Burkina  n’est pas adapté  au secteur minier.  Le plus souvent, les querelles qu’il y a entre employeurs et employés, sont liées aux  heures de travail et aux heures de repos. Nous avons adopté un Code du travail à un moment où nous   n’avions pas le boom minier comme on le dit aujourd’hui.  Aujourd’hui, avec l’exploitation minière qui est là, les entreprises privées ont leur façon de faire, qui ne cadre pas avec le Code du travail. Or, les travailleurs veulent qu’on respecte la loi qui encadre le travail. Ça ne va pas toujours ensemble.  Je pense que c’est dans ce sens que le patronat a proposé au  gouvernement une révision du Code du  travail pour prendre en compte l’existence du secteur minier au Burkina, de sorte à aider à résoudre certains problèmes. Mais comme je l’ai dit, il peut y avoir des engagements qui sont pris et qui ne sont pas respectés vis-à-vis des travailleurs. Dans ces conditions, les travailleurs vont se révolter.   Je pense que tout cela aussi est une question de responsabilité aussi bien de l’Etat que des sociétés minières pour éviter ces genres de crises.

« Que les gens arrêtent  de raconter n’importe quoi »

 Pensez- vous comme certains que cette enquête parlementaire pourrait cacher des intensions de règlement de comptes politiques ?

 Je ne suis pas du tout de cet avis !   Les gens voient la réalité mais ils la contournent  pour raconter   ce qu’ils veulent.   Ce n’est pas parce qu’un régime est tombé et qu’un autre est arrivé,  qu’il faut penser que c’est une façon de se régler des comptes.  Non !  Allons au problème réel que le rapport a posé.  Est-ce que sous le régime passé, le secteur minier était bien géré ?   C’est non. Il n’y a pas à discuter là-dessus.  Le secteur minier était très mal géré sous le régime Compaoré.  C’est ce que le rapport dit. Il y a beaucoup de choses qui n’allaient pas du tout dans le secteur minier, sous le régime de Blaise Compaoré. Et tous les différents éléments que le rapport a relevés sont fondés. On n’a qu’à nous démontrer que le secteur minier était bien géré. Nous sommes tous  dans le secteur. Nous connaissons ce qui se passe. Qu’on organise un débat public et qu’on nous dise en quoi le secteur minier était bien géré. Cela n’a rien à voir avec des règlements de comptes. C’est un régime qui est arrivé,  qui a pris un engagement avec le peuple pour dire « Plus rien ne sera comme avant ».  Ils sont en train  de faire qu’effectivement, plus rien ne soit comme avant.  C’est à nous  de saisir ces occasions.  Si on rectifie le tir et qu’on encadre bien  le secteur minier,  les changements qu’il  doit  y avoir vont  profiter à tous les Burkinabè.  On ne fera pas la différence entre ceux qui étaient au pouvoir, qui avaient mal géré,  et ceux qui sont maintenant au pouvoir.  Que les gens arrêtent  de raconter n’importe quoi. Nous sommes du secteur minier, nous connaissons la  réalité. Le rapport parlementaire a dit cette réalité et nous  ne voyons pas en quoi cela ressemble à un règlement de comptes. Nous ne disons pas qu’il n’y a pas d’éléments discutables là-dessus.   Ceux qui ont fait ce rapport ne sont pas tous des spécialistes.  Nous ne nous attachons pas aux  détails mais au fond. Nous disons non.  Est-ce que dans cette exploitation, le Burkina Faso a perdu beaucoup alors qu’il aurait dû gagner beaucoup ?  Nous disons oui.  Si tel est le cas et qu’on s’accorde sur ces questions, je pense qu’il faut laisser tomber  l’idée de règlement de comptes.  S’ils veulent se régler des comptes, ils peuvent le faire sur un autre terrain.

 Cette démarche est –elle un signal fort qui donne des perspectives heureuses dans le domaine minier ?

 Le parlement a joué sa partition.   Cela ne suffit pas pour dire qu’avec ce rapport, tous les problèmes  au niveau du secteur minier sont réglés.  Ils ont joué leur partition. Il appartient au gouvernement de jouer également la sienne.  Les entreprises minières doivent également jouer la leur. Nous également, au niveau de la société civile, nous devons jouer notre rôle ainsi que les autres acteurs qui sont impliqués dans le secteur.  Ce sont des problèmes qu’on a soulevés.  C’est à chacun, suivant sa position, de voir quel enseignement il  faut  tirer de ces éléments de rapport pour  faire en sorte qu’on revienne à une meilleure  gestion de ce secteur. Ils ont dit ce qu’il y a et ce qu’il faut faire pour que les choses aillent mieux.  Même vous les journalistes, vous devez vous saisir de ce rapport pour faire des investigations approfondies sur la  gestion du secteur minier.  Il faut vous spécialiser dans ce secteur.

 Votre mot de fin ?

 Mon mot de fin est de féliciter les députés qui ont fait ce travail. C’est un travail critiquable certes.  Mais  c’est un très bon travail qui doit nous servir non seulement pour réfléchir, mais pour prendre des engagements afin que l’or exploité au Burkina puisse profiter  à tous les Burkinabè. Les journalistes doivent s’engager à fond dans le secteur  minier en termes d’investigations. La société civile pareillement, pour que les différents acteurs soient interpellés.  Même le citoyen lambda.  Pour que ces communautés  locales, qui souffrent  de toutes sortes de nuisances du fait de l’exploitation minière,  puissent effectivement sentir qu’on exploite l’or au Burkina.   Cela ne sert pas d’ouvrir des mines industrielles partout, avec autant de préjudices sociaux, environnementaux que nous voyons.  L’Etat doit fournir plus d’efforts pour suivre les  entreprises minières dans leurs opérations.  Nous disons que les sociétés minières sont  trop  libres  sur le terrain.  C’est  parce qu’on ne les suit pas. C’est parce qu’on  ne les contrôle pas qu’elles profitent des failles qui existent.  Elles  sont venues pour faire des affaires.   S’il y a des failles dans le pays, elles vont les exploiter.  Même les commerçants burkinabè, quand il y a des failles,  ils  les exploitent et c’est l’impôt qui perd.   Il faut écouter les techniciens, les organisations de la société civile. Ils peuvent véritablement aider à remettre la gouvernance du secteur minier sur les rails.   C’est en ce sens que les Burkinabè vont beaucoup apprécier la gestion, la gouvernance globale de notre pays avec les nouvelles autorités.

Interview réalisée et retranscrite par Issa SIGUIRE

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